NIFFF (3) – Croissance pérenne confirmée : 48’000 spectateurs pour cette édition !

Final en beauté : à un an du 20e anniversaire du festival, ses organisateurs n’ont pas manqué de souligner l’excellente santé de l’événement et son remarquable record de fréquentation : 4’000 spectateurs de plus cette année qu’en 2018 ! Tant en qualité qu’en diversité, l’unique festival de genre en Suisse a fait ses preuves.

Le prix du meilleur film (Narcisse d’Or) a été attribué à la sottie irlandaise Extra Ordinary qui a également emporté le Prix du public. C’est le plus pétillant de 3 films truffés d’humour, tendance « gore à gogo », que nous avons applaudis avec les festivaliers.

Grand vainqueur des joutes 2019, Extra Ordinary, (Mike Ahern & Enda Loughman, Irlande, Belgique) est une comédie fantastique déjantée qui se gausse du film de genre avec un humour débridé. Une histoire de monitrice d’auto-école, fille d’un spécialiste ès fantômes décédé, elle-même capable de communiquer avec les spectres. Un veuf harcelé par sa défunte l’adjure de sauver sa fille, tombée entre les griffes d’une rock star déchue qui espère remonter dans le hit parade en la sacrifiant à Satan. Le veuf et la monitrice-medium vont procéder à la cocasse collecte tous les ingrédients nécessaires à un rituel qui sauvera la victime. Rires garantis par cette satire du paranormal où les objets jetés ont encore une âme, où les morts parlent par la bouche des vivants, où les forces en présence s’arrachent le corps en lévitation de la vierge sacrificatoire.

2ème perle cocasse, First Love (Japon et UK), que son auteur Takashi Miike annonçait comme un film d’amour (sans ultra-violence) entre Monica, une call-girl toxicomane et Leo, un jeune boxeur. Et non ! Dans un Tokyo lugubre, les deux jeunes gens vont être poursuivis par un policier corrompu, un yakuza et son ennemi juré, une tueuse envoyée par les triades chinoises, et des armées d’hommes de main. Comédie d’action complètement déjantée et absurde, First Love nous gave de touches hilarantes : une tête décapitée qui regarde son corps tomber, un yakuza, sabre au clair, courbé de douleur par une crampe, un autre qui tente de récupérer le pistolet agrippé par sa main qui vient d’être sectionnée, un malandrin tellement shooté qu’il ne remarque même pas qu’il lui manque un bras, etc. Miike s’amuse comme un gosse en nous plongeant dans une nuit grotesquement infernale où, à l’exception du jeune couple, tout le monde veut la peau de tout le monde, et mal leur en prend. Miike n’est jamais à court d’invention pour conjuguer violence et absurde. La filiation de First Love avec le manga s’illustre dans une séquence finale d’animation justifiée (le réalisateur dixit) par le vieillissement des bons cascadeurs japonais et par le coût prohibitif d’une telle séquence en live !

Enfin, la 3ème perle du genre : la comédie Why don’t you just Die ? / Papa, sdokhni (Kirill Sokolov, Russie), une tarantinade complètement démente et très gore ! Un jeune homme armé d’un marteau s’invite chez un policier (chauve et baraqué) qu’il accuse d’inceste avec sa propre fille. Les deux mâles en viennent tout de suite aux mains : tables, chaises, armoire, télévision volent, et eux-mêmes passent à travers les parois. Une accumulation de doigts disloqués, têtes explosées, crânes fracturés, chairs attaquées à la perceuse, dans un appartement de plus en plus démoli et sanguinolent. Une coloration et une violence de BD que l’on retrouve tout au long du film, dans les analepses qui expliquent le pourquoi du comment. Mensonge, pourriture, cupidité, corruption, abus de pouvoir, cruauté, parricide, le tout baignant dans des hectolitres de sang : On n’ira pas jusqu’à suggérer que le rôle-titre pourrait être une métaphore du petit père du peuple…

Du fantastique de haut vol
Le NIFFF n’a pas donné de mention à The Room, (Christian Volckman, France, Belgique, Luxembourg), ce pur thriller fantastique l’aurait mérité. C’est l’histoire de Kate (Olga Kurylenko) et Matt (Kevin Janssens), un jeune couple qui a acquis une grande maison à retaper dans un coin reculé du Maryland. Peu après leur emménagement, le couple découvre une pièce condamnée qui peut exaucer tous leurs désirs, telle la lampe d’Aladin. Le couple amasse des montagnes de billets de banque, de tableaux de maître, de champagne et caviar, même un bébé ! Leur nouvelle vie : un véritable conte de fées ! Mais … on n’a rien sans rien. Kate et Matt vont l’apprendre à leur corps défendant. Contrairement à ce que les dix premières minutes pouvaient laisser craindre (car, évidemment, les anciens propriétaires de la maison sont morts de mort violente !), le film s’avère surprenant d’un bout à l’autre : subissant les effets de la béné-malédiction de la chambre, les deux protagonistes et ce qui leur tient lieu de progéniture se lancent dans une âpre lutte pour survivre. Volckman et ses deux co-scénaristes ont un sens profond du rythme, et multiplient les rebondissements ingénieux et trouvailles esthétiques. L’alchimie entre les deux comédiens convainc et leurs tentatives parfois dérisoires pour pallier à leur damnation nous touchent.

Un thriller politique à peine futuriste

La menace islamique, la radicalisation des jeunes, encore un sujet brûlant. Le Danemark est l’un des pays qui ont fourni le plus gros contingent de combattants à l’Etat islamique et on dit qu’il est un modèle en matière de déradicalisation et de réintégration. Le thriller politique Sons of Denmark / Danmarks sønner (Ulaa Salim, Danemark) est une réflexion (qui se joue en 2025) sur ce qui pourrait se passer avec une politique répressive. Un an après une attaque terroriste à la bombe à Copenhague, le leader du parti « Denmarks Sønner », Martin Nordahl (un Le Pen danois) a toutes les faveurs des Danois. Une coalition de minorités menacées cherche à s’organiser et résister. Un dirigeant musulman prend sous son aile le jeune Zakaria, révolté par l’indifférence et le mépris des Danois, qui veut défendre sa famille, et les droits citoyens acquis. Choisi pour éliminer Martin Nordahl, le jeune homme est entraîné par un « frère » du nom d’Ali. Zakaria et Ali sont des pions entre les mains des meneurs, mais ils l’ignorent. Aucune motivation religieuse ne transparaît chez les groupes adversaires, juste l’envie de se faire une place aux dépens des autres. Les uns sont le miroir des autres, tant par leurs motivations que leurs méthodes et propagande criminelles. Le destin tragique des sous-fifres se joue sur les accents du « Lacrimosa » du Requiem de Mozart. Tout est dit.

Shadow, un mélange de « wuxia » et de film noir fantastique
Le réalisateur chinois Zhang Yimou nous a proposé l’opulent Ying / Shadow qui se déroule lors de la période des 3 Royaumes de Chine (220 à 280 après J.-C.). Cette saga historique et sanglante à grand spectacle évoque le destin des sosies, des « ombres » (souvenez-vous, « Kagemusha » de Kurosawa) dont la mission est de sacrifier leur vie pour que leur maître survive. Pas ou guère de couleurs dans Shadow, on est dans une esthétique de noirs et de gris, ponctuée d’éclats de couleur (pour le sang, la chair et le bois). Les deux royaumes rivaux de Yan et Pei semblent respecter une paix fragile. Mais lorsque le commandant en chef des armées de Pei provoque en duel le souverain de Yan (pour éviter une guerre imminente), il provoque l’ire de son roi. Lequel semble ignorer (mais peut-être pas …) qu’il a affaire à une « ombre ». Le vrai commandant suprême, oncle du roi, prépare dans la clandestinité le renversement du roi. Le duel va se dérouler dans une gigantesque embarcation, entre des parois rocheuses. Dans une mise en scène somptueuse, un radeau géant, sur le pont duquel on reconnaît les symboles du Yin et Yang (Zhang Yimou reste un philosophe), va servir de ring aux deux champions qui vont s’affronter. L’immense embarcation pénètre en territoire ennemi, tel un cheval de Troie, avec dans ses entrailles une armée prête au combat. Les scènes d’action sont stupéfiantes de beauté et d’originalité. Le soin du détail dans les armures des combattants, l’invention dans le concept des armes (lances, dagues, poignards, en passant par des sortes de parapluies constitués de lames tranchantes), la fluidité chorégraphique des combats, tout cela est d’une beauté pharaonique !

Sur 31 films visionnés et appréciés selon divers critères, une vingtaine vous ont été succinctement présentés dans ces pages, parce qu’ils ont un « je ne sais quoi » de plus que les autres. Comme le thriller psychologique Swallow, présenté dans le billet précédent (Prix NIFFF de la critique internationale) et dont se sont par ailleurs gaussés bien des chers critiques cinéphiles du NIFFF. On ne le dira jamais assez : des goûts et des couleurs ! Pour ce qui est des prix attribués, veuillez vous reporter au site officiel du festival, qui vous renseignera précisément et complètement. Les festivaliers semblent se soucier assez peu de la compétition, ce qui compte, c’est leur plaisir. Mais les mentions, statuettes et prix en cash peuvent parfois être jouer un rôle décisif dans une carrière, et on souhaite une envolée couronnée de succès aux nouveaux réalisateurs qui ont été programmés pour notre plus grand plaisir, à nous les festivaliers. Rendez-vous en 2020, pour la vingtième édition !

Suzanne Déglon Scholer

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