Berlinale : Germinal Roaux enchante, deux femmes de l’Est sortent de l’ombre

Le jury de la Berlinale a surpris professionnels et festivaliers en attribuant samedi l’Ours d’or à la réalisatrice roumaine Adina Pintilie pour son film Touch Me Not. Les femmes de l’Est étaient décidément à l’honneur puisque la Polonaise Malgorzata Szumowska a obtenu le Grand prix du jury pour son film Twarz. Suzanne Déglon Scholer parle de ce 2e film dans son journal de bord berlinois ci-dessous (cgs).

 

Mardi 20 février – Jour 6

Grâce à sa magistrale interprète Marie Bäumer, 3 Tage in Quiberon (Compétition), d’ Emily Atef, a véritablement fait revivre Romy Schneider, lors de son face à face avec le photographe Robert Lebeck et le journaliste Michael Jürg, à Quibéron en 1981. Celle qui ne veut plus être confondue avec Sissy est fragile, intoxiquée par l’alcool et les barbituriques, dépressive, sensuelle et féline un instant, hagarde et désespérée l’instant d’après. Face à l’objectif, Romy Schneider prenait vie, se métamorphosait littéralement, elle adorait être photographiée et était très photogénique (voir ci-contre). Marie Bäumer a su rendre cet aspect magique de sa personnalité. Le film mériterait de figurer au palmarès.

Tout comme Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot (Compétition), de Gus Van Sant. Le film, basé sur l’autobiographie éponyme de John Callahan (1951-2010), retrace la vie du dessinateur américain qu’un accident de voiture laissa quadriplégique en 1972. Ses dessins, que d’aucuns trouvaient morbides, voire répugnants et insultants, d’autres tout simplement brillants, soulevaient régulièrement la polémique. De parents inconnus, il avait grandi dans un orphelinat de Portland avant d’être adopté par la famille Callahan. On le sait alcoolique dès douze ans, et toxicomane de surcroît. L’accident fatal, qui le cassera physiquement, ne changera rien à sa personnalité de voyou, zonard casse-cou et provocateur. Jusqu’au bout, il repoussera avec morgue toute manifestation de compassion, franchissant allègrement et régulièrement les limites à ne pas dépasser : il fut l’incarnation du politiquement incorrect.

Joaquin Phoenix et Jonah Hill se donnent la réplique : le premier incarnant Callahan, l’autre un coach des AA qui l’aide (par des moyens pas tout à fait orthodoxes) à vaincre ses démons, et à retrouver une forme d’acceptation de soi-même et des autres. Le film a été applaudi, mais un film sur un handicapé iconoclaste peut-il séduire un jury, de nos jours ? C’est un très bon film, mieux construit et plus émouvant qu’Unsane (Compétition), de Steven Soderbergh, parodie (filmée avec un iPhone) de thriller horrifique, dans lequel une jeune femme apparemment forte, mais traumatisée par un « stalker » (harceleur) est internée contre sa volonté dans un asile psychiatrique et se voit confrontée à ses peurs les plus prégnantes. Est-elle mythomane ou le nouveau médecin-chef de l’institution est-il le dangereux déséquilibré qui la poursuit ? Débutant comme une étude de caractère, le film tourne à l’horreur, bourreau et victime assènent des coups mortels qui ne le sont jamais assez, même si ça saigne beaucoup. On se retrouve dans le gore, et on se demande à quoi tout cela peut bien servir.

Aus dem Nichts / In the Fade, de Fatih Akin, (LOLA at Berlinale), sorti en France, vaut le détour, ne serait-ce par la prestation impressionnante de Diane Kruger en jeune veuve luttant avec son avocat contre un système judiciaire qui refuse de condamner les Néo-nazis qui ont causé la mort de son fils et de son mari. L’avocat des accusés a habilement mis en doute la crédibilité de la jeune femme, principal témoin de l’attentant, et obtient la relaxation des accusés : on a retrouvé de la drogue chez elle, les allégations d’une toxicomane ne sont pas solides. Justice se fera, mais autrement. Un film dont les retours en arrière, avant l’attentat, sont illuminés par un ciel bleu ensoleillé et un bonheur familial partagé, firmament radieux que l’on retrouvera dans l’épilogue de ce drame qui se joue dans un climat verlainien (« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville »). Dommage qu’Aus dem Nichts n’ait pas trouvé place dans la distribution suisse.

Jeudi 22 février – Jour 8

Museo (Compétition) d’Alonso Ruizpalacios, narre l’histoire assez rocambolesque, mais véridique, de deux jeunes de banlieue, qui réussirent à s’emparer, en 1985, de 140 pièces préhispaniques de valeur « inestimable » au Musée d’Anthropologie de Mexico. Leur questionnement sur le sens de la vie, les rapports humains, les mensonges de l’histoire, leur malaise social, les méfaits commis pour remplir les musées, occupent un bon tiers du film, les deux autres tiers étant consacrés aux préparatifs et à l’exécution du plan, puis aux vaines tentatives de revente du butin ! La police, persuadée qu’un gang de professionnels a fait le coup, offre une énorme prime à qui dénoncera les coupables. De leur côté, les deux complices sont bien embêtés d’avoir réussi. Le rythme est languissant, et les efforts de Gaël Garcia Bernal ne nous gardent pas d’un certain ennui.

Ce jeudi est un tantinet maussade, car déjà la fin du Festival se fait sentir, les publications américaines (Variety, Hollywood Reporter et Screen) spécialement publiées pour la Berlinale, ne sont déjà plus distribuées. Les rangs dans les salles sont un peu plus clairsemés, le Marché du film a fermé ses portes mercredi.

Mais ce jour est marqué par deux films suisses de qualité, consacrés aux tragédies des migrants. Eldorado (hors Compétition, et c’est dommage) est un émouvant documentaire de Markus Imhoof, qui entrelace habilement les souvenirs de sa rencontre personnelle avec Giovanna, une jeune réfugiée italienne que sa famille avait recueillie à la fin de la 2ème Guerre Mondiale, et le reportage qu’il a pu effectuer sur les côtes de la Méditerranée, avec les escouades mises en place par l’Italie pour secourir les migrants. Il a pu filmer un sauvetage dans les eaux territoriales italiennes (des centaines de malheureux qui ont versé $ 1’500.- pour leur passage) à bord du navire porte-hélicoptère San Giusto, et voler quelques images dans les ghettos maraîchers qui se sont érigés en Italie. Les migrants y travaillent au noir, pour un salaire de € 30.- par jour, dont ils doivent reverser la moitié à la Mafia.

Ils sont plus de 30’000 à être parqués dans ces baraquements de fortune, et officiellement, ils n’existent pas. Et c’est compter sans les violences faites aux femmes durant le passage comme à l’arrivée. Le générique d’Eldorado se déroule sur fond de papier doré, celui dans lequel on enveloppe les blessés, dont la couleur or symbolise ce pays de Cocagne tant convoité (photo ci-dessus). Imhoof truffe son film d’informations sur la politique d’alors et de maintenant envers les réfugiés, le parallèle ne manque pas de piquant. Certains réfugiés refusent de déclarer leur identité, ils craignent que ce faisant, ils ne puissent tenter leur chance ailleurs : une fois la demande d’asile établie dans un pays, il n’est plus possible de refaire une demande ailleurs. Le pays qui examine leur cas les contraint à une oisiveté forcée qui perdure souvent 18 à 24 mois, jusqu’à ce que leur sort soit réglé.

Dans notre belle Helvétie, en cas de refus, les demandeurs d’asile peuvent repartir volontairement (et ont droit à une enveloppe de CHF 3’000.-) ou être rapatriés de force (ce qui coûte CHF 15’000.- à la Confédération). Ces images d’actualité poignantes alternent avec l’album de souvenirs familial, les photos et lettres de Giovanna, que Markus Imhoof considérait comme sa petite soeur. Elle dut repartir en Italie chez sa famille, en 1946, conformément aux lois qui régissaient l’aide suisse aux enfants réfugiés ! La jeune fille est morte en 1950, sans doute des suites des privations pendant la guerre. L’auteur de Das Boot ist voll (1981) constate avec tristesse que la situation des réfugiés a probablement empiré. La migration économique a toujours existé, mais on ne veut légitimer que la migration politique. Et Imhoof de faire un bilan amer : dans les pays dits riches, on crée toujours plus de robots pour remplacer l’homme, on a toujours plus de réfugiés qui ne demandent qu’à travailler, et on leur oppose toujours plus de refus. Eldorado se garde de condamner le système, mais son amer constat va-t-il aider à améliorer ledit système ? Le film a été longuement applaudi.

Le Lausannois Germinal Roaux, lui, a fictionnalisé le destin tragique des migrants dans un superbe film en noir-blanc, Fortuna (photo, ci-dessus) montré dans la section Generation 14plus). Dans un hospice catholique au Simplon, qui sert aussi de maison d’accueil pour les migrants, la petite Fortuna, arrivée d’Ethiopie depuis trois mois, prend soin des poules, poussins et de l’âne de la maison. Elle est très croyante, plutôt mutique, et prie régulièrement devant les portraits du Christ et de ses parents, perdus de vue à l’arrivée en Europe: « Ecoute s’il-te-plaît ma prière. Tu sais que j’ai besoin de ton aide. Tu sais que je suis seule. Dans un pays que je ne connais pas, où on parle une langue que je ne connais pas. Dans un mode de vie que je ne comprends pas». Elle refuse fermement d’être envoyée dans une famille d’accueil, elle veut rester à l’hospice, et l’on apprend ce qui l’y retient : elle attend un enfant d’un autre réfugié, Kabir, dont elle est très amoureuse. Kabir, 26 ans, est musulman et Fortuna, 14 ans, chrétienne. Fortuna a des papiers en règle, sans doute parce qu’elle est arrivée seule. Kabir semble avoir un casier chargé, il est marié, père de famille, et risque la prison pour viol si les autorités s’en mêlent. Lors d’une descente de police, Kabir s’enfuit pour ne plus revenir. L’assistant social de l’hospice encourage l’adolescente à avorter, ce qu’elle refuse farouchement, tandis que le chanoine responsable de l’hospice (incarné par Bruno Ganz, au centre de la photo) exhorte son collègue à respecter les vœux de la fillette. Le drame se noue et se dénoue dans l’univers enneigé des montagnes suisses. Les réunions de prières des moines alternant avec les promenades solitaires de Fortuna dans la haute neige, tenant le petit âne par la bride, moderne version de Marie sans Joseph. Roaux a tourné trente-sept jours dans les hospices du Simplon et du Grand-Saint-Bernard, en plein hiver, avec l’émouvante jeune Ethiopienne Kidist Siyum Beza, dont c’est le second film. Le film de Roaux a séduit les deux jurys de la section Generation14plus : les jeunes lui ont décerné l’Ours de cristal du meilleur film et le jury international le Grand prix.

Vendredi 23 février – Jour 9

Twarz (Compétition), de Malgorzata Szumowska, pourrait s’intituler « Tronche » en français. Regard sarcastique et désabusé sur la société polonaise, le film commence par une séquence d’anthologie dans une grande surface, au moment de l’ouverture : on y promet des soldes mirobolantes. Les clients se ruent sur la marchandise, sous-vêtements et grands écrans LED, et on assiste à une échauffourée de Polonais bien nourris et moitié nus qui s’arrachent des sous-vêtements, mais aussi des téléviseurs en soldes ! Et presque tout est dit sur la société de consommation. La réalisatrice s’attaque après aux apparences, à ce qui se cache derrière les masques de chacun. Mais pourquoi s’est-elle crue obligée de nous infliger une image aux deux tiers floue pendant les 91 minutes du film ? Le flou doit-il illustrer le manque de transparence dans la communauté présentée ?

Le héros, Jacek, vingtenaire, aime la blonde Dagmara, la musique de heavy metal, son grand-père et son chien. Il aime foncer au volant de sa petite voiture rouge. Il gagne sa vie comme ouvrier sur un chantier pas ordinaire : la construction d’un Christ façon Cristo Redentor de Rio de Janeiro, mais en plus grand ! La bondieuserie est omniprésente dans la vie quotidienne de chacun : que le prêtre bénisse le repas de famille, la méga-statue en construction, ou qu’il confesse une jeune fille qui a péché, cela vaut son pesant d’or et d’hypocrisie. On se demande où se loge la foi dans tout ça… Lorsque Jacek est victime d’un terrible accident qui le laisse aphasique et défiguré, sa vie bascule. Il est le premier patient polonais à bénéficier d’une transplantation faciale que les assurances ne voudront pas prendre complètement en charge ! Les médias font de lui un héros, un martyr, une bête curieuse, un monstre, mais aussi un modèle pour les bienfaits d’une crème-miracle qui fait disparaîtres brûlures, rides, cicatrices… Son entourage ne le reconnaît plus, sa fiancée l‘abandonne, sa mère, craignant qu’il ne soit possédé par l’implant facial convainc le prêtre de pratiquer un exorcisme. Jacek n’a plus de place dans la communauté, plus d’avenir dans ce village où on érige pourtant un Christ gigantesque. Pourrra-t-il prendre le chemin de l’exil ? Un film dont il faudrait récompenser le scénario, la mise en scène, mais qui irrite beaucoup par son parti pris de flou qui est censé en dire long. (Sur la photo : Jacek (Mateusz Kosciukiewicz) porte toujours ses vêtements de prédilection, mais il dissimule sous le blouson la tête que personne n’accepte !)

Notre palmarès personnel serait le suivant : Isle of Dogs de Wes Anderson (Ours d’Or), Dovlatov (Ours d’Argent), Utøya 22.Juli d’Erik Poppe (Prix de la mise en scène), 3 Tage in Quibéron d’Emily Atef (Prix d’interprétation féminine), Black 47 de Lancy Daly (Grand Prix du Jury), Las Herederas de Marcelo Martinessi (Prix Alfred Bauer), Twarz de Malgorzata Szumowska (Prix d’interprétation masculine)

Dimanche 25 février 2018 – Les Jeux sont faits !

Voici les distinctions décernées par le Jury de la Compétition internationale et les Jurys parallèles :

Fortuna obtient l’Ours de Cristal des jeunes pour le meilleur film et le Grand Prix du jury international de Generation14Plus.

Dovlatov obtient le Prix des lecteurs du Jury du Berliner Morgenpost et un Ours d’argent pour une excellente contribution artistique à Elena Okopnaya pour costumes et décors,

Utøya 22.juli reçoit la Mention spéciale du Jury Oecuménique.

Isle of Dogs vaut à Wes Anderson l’Ours d’argent du meilleur réalisateur.

Twarz décroche l’Ours d’argent du Jury international.

Las Herederas cumule le Prix Alfred Bauer, l’Ours d’argent pour la meilleure comédienne (Ana Brun), le Prix FIPRESCI, le Teddy Readers Award de « Mannschaft Magazine ».

Museo reçoit l’Ours d’argent pour le meilleur scénario (Manuel Alcalá et Alsonso Ruizpalacios)

La Prière est distingué par un Ours d’argent pour le meilleur acteur (Anthony Bajon).

Pour tout savoir sur toutes les récompenses du Palmarès, consultez

https://www.berlinale.de/tous_les_jurys.html

Dans un dernier volet de ce journal de la Berlinale, nous vous parlerons des deux films de Lionel Baier et Ursula Meier tirés de la quadrilogie helvétique « Ondes de Choc » et de trois séries internationales qui ont eu les honneurs du Zoo-Palast et de son tapis rouge.

Suzanne Déglon Scholer

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